Quand la fiction éclaire la réalité : Koh-Lanta ou l’art de survivre en société
- Jean-Didier Rosi
- 4 sept.
- 6 min de lecture

Quand la fiction éclaire la réalité
Et si les histoires que nous aimons – films, romans, séries, jeux télévisés – n’étaient pas seulement des divertissements, mais de véritables miroirs tendus à nos vies ?
Je suis heureux de vous proposer une nouvelle série d’articles intitulée « Quand la fiction éclaire la réalité ». Cette série se propose de décoder les œuvres qui nous captivent pour en extraire des clés de compréhension du monde et de nous-mêmes. Derrière chaque scénario, chaque personnage, se cachent des dynamiques humaines bien réelles : relations de pouvoir, émotions, croyances, peurs et espoirs. De Zorba le Grec à Black Mirror, en passant par les univers les plus inattendus, nous allons explorer comment la fiction révèle, amplifie et parfois simplifie les mécanismes qui façonnent nos comportements et nos choix.
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Un jeu télévisé qui en dit long sur les mécanismes humains
Sur une île déserte ou dans l'open space de votre entreprise, les règles du jeu social se ressemblent bien plus qu’on ne l’imagine.
Koh-Lanta n’est pas qu’un divertissement : c’est un microscope focalisé sur nos comportements, nos forces et nos failles. Chaque épisode nous confronte aux mêmes dynamiques que celles que nous vivons au quotidien : besoin de reconnaissance, gestion des émotions, alliances, conflits, leadership, exclusion. Si ce jeu - comme d'autres d'ailleurs - perdure depuis de nombreuses années, c'est parce qu'il touche à l’essence même de ce que nous sommes : des êtres sociaux en quête de sens, de sécurité et de succès.
Dans cet article, nous plongerons dans l'aventure pour en extraire des leçons utiles et inspirantes. Nous analyserons pourquoi ce jeu est un véritable laboratoire social, sur quels piliers psychologiques il repose, pourquoi les alliances changent et quel rôle jouent l’instinct de survie et l’instinct de compétition. Enfin, nous verrons quels bénéfices, conscients et inconscients, en retirent les téléspectateurs.
Koh-Lanta, un laboratoire social à ciel ouvert
Koh-Lanta est une expérience unique : des individus inconnus, aux profils variés, sont placés dans un environnement hostile. Peu de nourriture, pas de confort, des épreuves physiques et mentales… et surtout, la nécessité de cohabiter et parfois de coopérer. C’est une sorte de laboratoire social grandeur nature parce que les conditions extrêmes révèlent des comportements souvent cachés dans nos vies ordinaires. On y voit apparaître les stratégies, les peurs, les élans de solidarité ou de trahison qui, habituellement, restent voilés dans notre quotidien.
En psychologie sociale, on sait depuis longtemps que l’environnement influence énormément nos comportements. Le manque, le stress et l’isolement font ressortir nos instincts primaires et nos stratégies sociales (pas toujours très reluisantes). Koh-Lanta condense ces variables en quelques semaines : solidarité, rivalité, peur, courage, empathie, manipulation… toutes les facettes humaines sont présentes. Observer les candidats, c’est comme observer des équipes en entreprise, mais sous pression maximale.
Les piliers psychologiques de Koh-Lanta
Derrière les épreuves et les votes, Koh-Lanta repose sur plusieurs piliers psychologiques bien connus : le besoin d’appartenance, la recherche de sécurité, l’estime de soi, le pouvoir, l’influence et la reconnaissance. Ces piliers sont précisément ceux qui guident nos comportements au quotidien. Par exemple, un collaborateur qui se sent mis à l’écart réagit comme un candidat menacé : il cherche à se réintégrer ou à se protéger.
La recherche de sécurité peut prendre la forme d’alliances, d’échanges de bons procédés, de promesses de fidélité. L’estime de soi, elle, se nourrit d’épreuves réussies, de compliments, de reconnaissance publique. Même sur une île, nous cherchons à briller aux yeux des autres.
Les alliances : miroir de nos cercles sociaux
Les alliances rappellent nos réseaux sociaux et professionnels. Elles se créent par affinité, intérêt ou nécessité, et elles évoluent.
Dans Koh-Lanta, ces changements sont rapides, parfois brutaux, révélant que la loyauté et la stratégie cohabitent toujours. La peur de l’élimination et l’envie de gagner dictent souvent les comportements. Exactement comme dans la vraie vie où un(e) collègue peut devenir un(e) concurrent(e), où un(e) meilleur(e) ami(e) peut devenir l'ennemi(e) à abattre pour s'assurer une victoire.
Choisir ses partenaires devient une compétence vitale : il faut lire les autres, repérer les forces et les failles, sentir le bon moment. Et lorsque les intérêts évoluent, les alliances se défont ou se réinventent. Cette fluidité, que beaucoup jugent « traîtresse », est en réalité une stratégie de survie. Elle nous interroge sur nos propres comportements : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour protéger notre place ?
Le conflit et le triangle dramatique
Les tensions sont inévitables. Le triangle de Karpman (Persécuteur, Victime, Sauveur) s’y déploie sous nos yeux.
Dans Koh-Lanta, le Persécuteur peut être un stratège sans pitié, la Victime un candidat isolé et le Sauveur un allié fidèle. Mais ces rôles sont particulièrement mouvants. La Victime peut se rebeller, le Sauveur trahir, le Persécuteur devenir conciliant. Cette volatilité nous rappelle que les relations humaines ne sont jamais figées.
Apprendre à sortir du triangle, c’est refuser de rester coincé dans un rôle. Koh-Lanta nous enseigne qu’on peut toujours changer de posture : prendre du recul, poser des limites, négocier autrement. Dans nos vies, cette compétence est précieuse pour éviter les conflits chroniques.
Stratégie et psychologie : survivre ne suffit pas
Koh-Lanta n’est pas qu’un jeu physique, c’est un jeu mental. L’instinct de survie et l’instinct de compétition façonnent les comportements. Quand la faim et l’épuisement dominent, l’instinct de survie prend le dessus : protéger sa ration, ménager ses forces, éviter les conflits inutiles. L’instinct de compétition, lui, pousse à dépasser ses limites, à calculer chaque geste, à s’imposer comme indispensable.
Ces instincts coexistent et se complètent. Les candidats doivent apprendre à doser : montrer leur valeur sans effrayer, être loyaux sans être naïfs. Cette dualité existe aussi dans nos carrières : savoir coopérer tout en défendant ses intérêts.
Un miroir du monde professionnel
Koh-Lanta est une formidable métaphore du monde du travail. La tribu, c’est l’équipe. Le camp, c’est le bureau. Le conseil, c’est la réunion stratégique. Les épreuves sont comme des projets : il faut se préparer, collaborer, gérer la pression.
Prenons l’exemple du leadership : sur l’île, un leader efficace ne se contente pas de donner des ordres. Il écoute, motive, rassure. Il sait quand prendre la lumière et quand la laisser aux autres. En entreprise, c’est pareil : un bon manager est celui qui fédère autour d’une vision et inspire confiance.
L’adaptabilité est un autre atout clé. Les candidats changent de stratégie en fonction des épreuves et des alliances. Dans un monde professionnel en perpétuel mouvement, cette flexibilité est essentielle. Et la gestion du stress ? Elle est partout : dans les votes où tout peut basculer, comme dans une présentation décisive ou un entretien crucial.
Enfin, l’éthique. Koh-Lanta pose une question : jusqu’où aller pour gagner ? Dans la vie professionnelle, cette interrogation est permanente. Accepterons-nous de contourner des règles ? Quelle est notre limite entre ambition et loyauté ?
Les bénéfices conscients et inconscients pour le téléspectateur
Koh-Lanta ne captive pas par hasard. Ce jeu nous offre bien plus qu’un simple divertissement.
Divertissement et émotions : le téléspectateur vit des montagnes russes émotionnelles. Les musiques, le montage, les rebondissements créent une tension digne d’un film. Les victoires nous exaltent, les trahisons nous révoltent. Cette intensité crée une véritable addiction émotionnelle.
Identification : chacun trouve un candidat qui lui ressemble ou qu’il aimerait être. Le stratège fascine, le sportif impressionne, le discret intrigue. Cette identification nourrit l’empathie et renforce notre attachement à l’émission.
Apprentissage : à travers les épreuves, nous découvrons des leçons sur la communication, la gestion du stress, l’adaptabilité. Sans en avoir conscience, nous intégrons des modèles d’action et de réflexion.
Réflexion personnelle : certaines scènes agissent comme un miroir. Aurions-nous trahi pour rester en jeu ? Aurions-nous soutenu un allié faible ? Ces questions éveillent nos valeurs et nos limites.
Lien social : Koh-Lanta est aussi un prétexte à échanger. Soirs de diffusion, discussions de bureau, réseaux sociaux : on débat, on rit, on critique. L’émission devient un vecteur de lien et d’appartenance.
Conclusion : et vous, quel rôle jouez-vous ?
Koh-Lanta nous divertit mais il nous éclaire surtout sur nos comportements sociaux. En observant ces candidats, nous voyons nos forces, nos failles, nos envies et nos peurs.
Alors, si demain vous deviez rejoindre une tribu – votre équipe, votre famille, votre réseau – quel joueur seriez-vous ? Celui qui guide, celui qui observe, celui qui ose ? L’important n’est pas seulement de gagner, mais de comprendre le jeu et d’y trouver sa place.
Cet article ne fait qu’effleurer certaines dimensions passionnantes de Koh-Lanta : le rôle des médias et du montage, l’éthique du jeu, la diversité des profils… Autant de thèmes qui mériteraient un article à part entière. Nous les explorerons dans de prochains volets de la série "Quand la fiction éclaire la réalité"
Jean-Didier Rosi
Thérapeute, coach et formateur



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